[DIGITAL Business Africa] – Alors que les technologies de l’intelligence artificielle (IA) continuent de transformer les sociétés et les économies, leur utilisation à des fins malveillantes, notamment dans la désinformation et les cyberattaques, représente une menace croissante pour les démocraties. Cette problématique a été au cœur des discussions lors du Sommet pour l’action sur l’IA, tenu du 10 au 11 février 2025 au Grand Palais à Paris. Parmi les interventions marquantes, celle d’Edgars Rinkēvičs, président de la Lettonie, a mis en lumière les défis et les solutions apportées par son pays, notamment à travers la création d’un Centre d’excellence sur la communication stratégique. Une initiative qui pourrait inspirer l’Afrique, alors que plusieurs pays du continent envisagent la création de centres similaires pour protéger leurs démocraties et infrastructures critiques.
Le modèle letton de résilience face à la désinformation
Lors de la table ronde intitulée « Vie privée, cybersécurité et intégrité de l’information : tirer parti de l’IA pour protéger les démocraties », Edgars Rinkēvičs a marqué les esprits en présentant la stratégie de son pays face à la montée des cybermenaces et des campagnes de désinformation alimentées par des technologies basées sur l’IA. Son pays, dit-il, est exposé à des campagnes de désinformation et des cyberattaques en raison de sa situation géopolitique. Il exposait cette stratégie aux côtés de personnalités telles que Mathias Cormann (OCDE), Nighat Dad (Digital Rights Foundation), Marie-Laure Denis (CNIL) et Meredith Whittaker (Signal).
Edgars Rinkēvičs a partagé l’expérience de la Lettonie, un pays exposé à des campagnes de désinformation et des cyberattaques en raison de sa situation géopolitique. « Nous avons subi des cyberattaques et l’utilisation des solutions basées sur l’IA dans ces attaques a été critique », a-t-il déclaré.
Face à ces menaces, la Lettonie a adopté une approche proactive. Le pays a non seulement renforcé sa cybersécurité, mais a également mis en place une législation stricte pour encadrer l’utilisation de l’IA dans les campagnes politiques.
« Nous avons une loi qui exige le marquage de l’usage de l’IA dans les campagnes politiques, notamment pour les deepfakes et les hyper-trucages », a expliqué le président letton.
Cette régulation vise à prévenir l’ingérence étrangère et à protéger l’intégrité des processus démocratiques.
Le Centre d’excellence sur la communication stratégique : un outil clé
L’une des initiatives phares de la Lettonie est la création d’un Centre d’excellence sur la communication stratégique dédié à la lutte contre la désinformation et à la protection des systèmes démocratiques. Ce centre utilise des modèles d’IA pour identifier les sources des attaques, analyser les campagnes de désinformation, pour répondre à ces attaques en diffusant la bonne information et pour renforcer la résilience des infrastructures critiques. Et ce n’est pas tout, car il envisage également la création d’un centre national d’IA.
Pour le président, « il faut rechercher dans l’IA les opportunités à exploiter et identifier les risques ». « En ce qui concerne les opportunités, je dirais que nous voulons avoir plus de coopération entre les gouvernements, la communauté des entreprises et le monde universitaire. Nous sommes dans un processus de création d’un centre national d’IA. Le développement de l’IA et la sécurité vont jouer un rôle important. Nous avons besoin de plus d’expertise. Nous avons besoin d’utiliser des modèles d’IA pour comprendre d’où viennent les attaques, comment protéger nos systèmes et comment protéger nos démocraties. C’est ce que nous faisons déjà. Nous avons un Centre d’excellence sur la communication stratégique qui travaille également pour lutter contre la désinformation et l’utilisation de l’IA », explique Edgars Rinkēvičs.
L’IA, une opportunité pour protéger les démocraties
Au-delà des risques, l’IA offre également des opportunités pour renforcer les démocraties. « Nous voulons avoir plus de coopération entre les gouvernements, la communauté des entreprises et le monde universitaire », a insisté Rinkēvičs qui estime que l’utilisation de l’IA pour diffuser des informations fiables et contrer la désinformation pourrait jouer un rôle clé dans la protection des processus démocratiques. « Nous souhaitons aborder les choses de façon positive », a précisé le président letton, rappelant que l’IA doit être un outil au service des citoyens et de la transparence.
« Nous avons des exemples où nous avons pu constater que des modèles IA ont été utilisés, par exemple, pour des hyper-trucages et des deepfakes dans les systèmes électoraux, et à l’avenir, ces deepfakes seront utilisés pour générer des fausses informations et influencer les campagnes électorales. Lors des campagnes électorales, nous avons eu quelques exemples où les réseaux sociaux TikTok, Telegram, X et, dans une moindre mesure, Facebook ont été utilisés. En Europe, il va falloir que l’on tire les enseignements de ce qui se passe. C’est facile et moins coûteux d’avoir des données et de faire des campagnes sur TikTok. Les gains politiques peuvent être énormes. Imaginez que vous vous rendez compte que les élections ont été manipulées. Comment le pouvoir judiciaire et les institutions démocratiques peuvent se protéger ? Je crois qu’il y aura des discussions juridiques et politiques assez difficiles dans les années à venir », explique le président letton.
D’où son invitation à une collaboration de tous les acteurs: « Nous avons besoin de plus d’expertise pour comprendre d’où viennent les attaques et comment protéger nos systèmes. » Et cela nécessite, dit-il, une étroite collaboration avec les gouvernements, les entreprises et les universités pour développer des outils innovants et diffuser des informations fiables. Ce que commence à faire le Centre d’excellence sur la communication stratégique de son pays.
Sécurisez les infrastructures numériques !
Autre point important évoqué par Edgars Rinkēvičs, la sécurité des infrastructures numériques.
« La Lettonie, en raison de sa situation géopolitique, de son emplacement géographique, a été exposée à différents types de menaces, de cyberattaques et de campagnes de désinformation. Si l’on me posait la question il y a un an sur les priorités en matière d’IA, j’aurais parlé de la nécessité d’augmenter les investissements dans la cybersécurité. Je dirais que la première tâche de nos États en matière de cybersécurité, c’est de protéger les infrastructures critiques. Nous avons eu des attaques contre des infrastructures critiques. Sur le plan de la défense, il fallait protéger l’infrastructure », indique le président qui raconte une expérience de son pays. …
« L’Estonie et la Lituanie se sont déconnectées du réseau bélarussien et russe et nous nous sommes connectées au réseau européen. (NDLR : L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont mis fin à leurs connexions électriques avec la Russie et le Bélarus voisins le 8 février dernier, soit près de trois décennies et demie plus tard.) Nous avons subi des cyberattaques et l’utilisation des solutions basées sur l’IA dans ces attaques a été critique.
Je dirais que la première tâche de nos États en matière de cybersécurité c’est de protéger les infrastructures critiques. Nous avons eu des attaques contre des infrastructures critiques. Sur le plan de la défense, il fallait protéger l’infrastructure », regrette le président.
Enseignements pour les pays africains
Alors que les menaces liées à la désinformation et aux cyberattaques se multiplient, dans un contexte où de nombreux pays africains organiseront des élections en 2025 et en 2026, la création de centres stratégiques d’information pareils représente une étape cruciale pour protéger les démocraties et les infrastructures critiques.
En Afrique, les élections sont presque toujours la cible de campagnes de désinformation, notamment via le web et sur les réseaux sociaux. Comme l’a souligné Rinkēvičs, « les deepfakes seront de plus en plus utilisés pour générer de fausses informations et influencer les campagnes électorales ». Pour contrer ces menaces, le modèle letton combinant régulation, technologie et coopération internationale pourrait inspirer.
En s’inspirant des meilleures pratiques internationales, comme celles de la Lettonie, les pays africains pourraient non seulement lutter contre la désinformation, mais également renforcer leur résilience et positionner l’IA comme un levier de développement et de stabilité. Tout en prenant le soin de trouver des voies et des moyens de sécuriser davantage leurs infrastructures.
Dans un monde où l’information est une arme, les gouvernements africains ont ainsi l’opportunité de devenir des acteurs clés dans la lutte contre la désinformation, tout en exploitant les potentialités de l’IA pour construire un avenir numérique plus sûr et plus inclusif.
Par Beaugas Orain DJOYUM, à Paris