[Digital Business Africa – Avis d’expert] – Pour le Dr.-Ing. Pierre-François KAMANOU, président du Réseau des Entreprises et Professionnels du Secteur des TIC et du Numérique (REPTIC), l’obstacle majeur à la transformation numérique au Cameroun est le déficit d’interconnectivité locale. Il propose des solutions pour adresser ce challenge.
Ses recommandations ont été faites ce 27 février 2025 au Hilton Hôtel de Yaoundé lors des Rencontres Economiques du Cameroun (REC2025). Il intervenait lors de l’atelier Numérique et Innovation qui s’est tenu sur le thème : « Comment rattraper le retard dans la transformation des entreprises et administrations »
Digital Business Africa vous propose l’intégralité de la communication du Dr.-Ing. Pierre-François KAMANOU, PDG de GTS Africa et Président du REPTIC.CM.
« C’est un honneur pour moi d’intervenir, en ma qualité de Président du REPTIC (Réseau des Entreprises et Professionnels du Secteur des TIC et du Numérique), dans ce panel dédié à la transformation numérique, un enjeu majeur pour le développement économique et social du pays.
Permettez-moi tout d’abord de rappeler que le REPTIC, créé en 1997, poursuit 3 objectifs principaux :
* Contribuer à la promotion des TIC et au développement inclusif de l’économie numérique.
* Constituer une force de propositions pour être l’interlocuteur privilégié du secteur privé auprès des pouvoirs publics, des organisations patronales et des autres acteurs de l’écosystème numérique.
* Participer à la régulation du secteur des communications électroniques et du numérique.
Le REPTIC est membre du GECAM depuis 2018, et je profite de cette occasion pour inviter tous les professionnels du secteur TIC et numérique à nous rejoindre via notre site web : reptic.cm.
Mon intervention sera axée sur l’interconnectivité locale, qui se révèle être un pilier essentiel de la transformation numérique des administrations publiques et des entreprises.
Dans le contexte de la transformation numérique, l’interconnectivité locale consiste à mettre en place, d’abord à l’échelle nationale puis régionale, un réseau unique de télécommunications. Ce réseau permettra à tout utilisateur – personne physique ou morale – où qu’il se trouve dans les zones de vie, d’accéder à des tarifs non discriminatoires à toute plateforme de services TIC ou numériques offerts par les personnes morales, via les différents canaux de communication électronique : Internet, Voix, SMS et USSD, exploités par les opérateurs télécoms.
Selon le dernier rapport E-Participation Index 2022 des Nations Unies, le Cameroun est classé 133ᵉ sur 193 États membres, derrière des pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Congo. Cet indicateur mesure l’utilisation par le grand public des services en ligne des administrations publiques.
Il est important de noter que, dans son rapport daté de mars 2017, la Banque Mondiale avait souligné, et je cite : « Les services de l’administration publique ne bénéficient pas suffisamment des plateformes qui pourraient améliorer l’accès aux services publics et à l’information à moindre coût. »
Cette performance médiocre du Cameroun s’explique en grande partie par une faible interconnectivité Internet et une inexistence d’interconnectivité téléphonique sur les canaux Voix, SMS et USSD.
Aujourd’hui, l’offre globale d’accès Internet des opérateurs repose essentiellement sur une interconnectivité internationale via les câbles sous-marins, avec une faible résilience. Le pourcentage de consommation de données pour l’accès aux services TIC et numériques des entreprises et administrations locales est très faible, comparé à l’usage des applications OTT de communication, telles que WhatsApp et les réseaux sociaux.
Par ailleurs, il n’existe pas d’offre d’interconnectivité locale pour l’accès téléphonique aux plateformes d’application des entreprises, qui devraient pourtant être identifiées par des numéros fixes virtuels. Cela se traduit notamment par la disparition progressive de l’usage des numéros de téléphonie fixe filaire par les entreprises et administrations.
Le niveau actuel de gouvernance de l’interconnectivité locale ne permet pas de faciliter l’émergence, dans notre écosystème numérique, de startups locales indépendantes des opérateurs mobiles internationaux. Pourtant, comme dans les pays occidentaux et en Afrique du Sud, ces startups sont les moteurs du développement inclusif de l’économie numérique, en introduisant des services innovants dans des secteurs technologiques émergents tels que : Datacenter et Cloud, IoT (Internet des Objets), FinTech, Blockchain, Signature électronique, Big Data, IA, …
De même, l’absence d’opérateurs locaux de plateformes de communication unifiée (CPaaS) sur des numéros fixes virtuels entrave la modernisation de la téléphonie fixe d’entreprise, en voie de disparition. Ces plateformes permettent de centraliser et sécuriser l’ensemble des communications professionnelles (Voix, SMS, USSD, WhatsApp) sur un unique numéro fixe virtuel, améliorant ainsi l’expérience des clients, la productivité des employés.
En outre, elles jouent un rôle crucial dans le renforcement de l’identité numérique des personnes morales, un enjeu majeur dans un contexte galopant d’usurpation d’identité téléphonique et d’actes de cybercriminalité. En offrant une solution sécurisée et fiable, ces plateformes contribuent à restaurer la confiance dans les interactions numériques incluant le paiement mobile.
Pour rattraper ce retard et accélérer la transformation numérique, nous proposons les 6 recommandations suivantes, visant à favoriser l’entrée de nouveaux opérateurs privés nationaux de télécoms et à promouvoir l’émergence et le soutien des champions nationaux dans le secteur du numérique :
* Renforcer la gouvernance de la régulation en mettant en place un cadre légal et technique pour la mise en œuvre effective des textes réglementaires, en veillant à leur application transparente et équitable.
* Mise en place par CAMTEL d’une offre d’interconnexion destinée aux opérateurs licenciés de services d’accès Internet par FTTH et de services d’accès téléphonique sur des numéros fixes virtuels, afin de renforcer l’écosystème numérique local.
* Rendre opérationnels les 2 points d’échange Internet (IXP) pour maintenir localement le trafic Internet, réduire les coûts et améliorer la qualité des services.
* Mettre en place un cadre réglementaire pour faciliter l’accès des TPE/PME du numérique à la commande publique, notamment pour les services innovants non inclus dans la Mercuriale, avec exonération des droits d’enregistrement et simplification des conditions de paiement.
* Soutenir les startups locales porteuses de projets structurants grâce à des subventions et des partenariats public-privé, afin de stimuler l’innovation et la compétitivité.
* Mettre en place un cadre réglementaire incitatif pour la création de zones franches numériques, inspiré des modèles réussis dans les pays africains tels que Côte d’Ivoire, Gabon et Rwanda. Ces zones auront pour mission de financer et développer des startups porteuses de grands projets structurants, tels que : Data Centers, Centres de R&D, Usines de fabrication d’équipements, Développement de logiciels.
En conclusion, l’interconnectivité locale n’est pas seulement une question technique ; c’est un levier stratégique du développement inclusif de l’économie numérique du Cameroun et des pays africains en général. En améliorant cette interconnectivité, nous pouvons créer un écosystème numérique inclusif, innovant et compétitif, capable de répondre aux besoins des entreprises, des administrations et des citoyens. »