[Digital Business Africa] – L’association Digital Africa lancée en 2018 à l’initiative d’Emmanuel Macron, le président français, est dans la tourmente. Un conseil d’administration convoqué par Jean-Pierre BARRAL, représentant de l’Agence Française de Développement (AFD), s’est tenu le 18 février, en l’absence de plusieurs membres, dans le but de dissoudre l’association. L’absence de nombreux membres à ce conseil entraîne la nullité des résolutions de ce CA, apprend-on de plusieurs sources. Digital Africa n’est donc pas encore dissoute comme le souhaite l’AFD, mais la tempête demeure.
Le dernier épisode épique à Digital Africa commence le 16 février 2021 quand le Sud-africain Kizito Okechukwu, président par intérim de Digital Africa (à la suite de la démission de Karim Sy), publie un communiqué de presse pour s’opposer à la convocation d’un CA sollicité par l’AFD et annonce par ailleurs que l’association a mandaté deux avocats pour défendre l’intérêt de Digital Africa et solliciter un audit sur la gestion de l’association.
« Le Président de l’Association DIGITAL AFRICA, Kizito OKECHUKWU, s’oppose à la tenue d’une réunion du Conseil d’Administration de l’Association le jeudi 18 février 2021, considérant que l’auteur de la convocation, Monsieur Jean-Pierre BARRAL, représentant de l’Agence Française de Développement (MD), ne détient aucun titre à demander la réunion de ce Conseil et n’a au surplus pas respecté les dispositions statutaires relatives aux convocations du Conseil », indique le communiqué.
Kizito Okechukwu fait savoir qu’il avait déjà convoqué un Conseil d’Administration pour la date du 25 février 2021 dans le but d’évoquer le souhait de l’AFD de voir DIGITAL AFRICA dissoute. Ce délai accorderait d’après lui le temps nécessaire à l’examen et à la remise d’un rapport sur les causes qui pourraient motiver cette dissolution.
« Il semble que l’empressement de l’AFD soit motivé par l’intention d’empêcher la rédaction de ce rapport. L’Association DIGITAL AFRICA a mandaté Mes Gaspard de MONCLIN et Charles CONSIGNY, avocats au Barreau de Paris, pour défendre ses intérêts », précise le président de Digital Africa dans son communiqué.
Les révélations de Rebecca Enonchong
Ce même 16 février 2021, dans un thread sur Twitter, la Camerounaise Rebecca Enonchong dévoile les causes de l’imbroglio à Digital Africa. La PDG d’Appstech et PCA d’AfriLabs dont les propos sont traduits par Nathalie Yamb raconte :
“Je me souviens quand Emmanuel Macron, lors du salon Viva Technology (Paris, 2018) a annoncé son initiative Digital Africa. Cette partie de son discours était en anglais. Je me suis dit: Oui! Bye bye Françafrique, bonjour à une nouvelle relation entre la France et l’Afrique.
Eh bien … les vieilles habitudes ont la vie dure.
On ne savait pas à quoi ressemblerait le programme ni qui le dirigerait mais finalement, conformément à l’état d’esprit «partenaires, pas colonisateurs», l’association Digital Africa a été créée avec des organisations africaines et françaises comme co-fondatrices.
En signant l’accord pour la création de l’association au nom d’AfriLabs, j’étais super excitée d’en être l’une des co-fondatrices.
L’idée était de s’assurer, à travers l’association Digital Africa, que les voix africaines auraient un poids égal dans cette toute nouvelle approche des relations Afrique-France.
Nous avons mis en place un conseil d’administration et voté pour faire de Karim Sy le président du conseil. Afrilabs, représenté par moi, et 22OnSloane, représenté par Okechukwu Kizito, ainsi que des organisations françaises comme l’AFD, ont également été élus.
En tant que tout nouveau modèle dans lequel le budget venait du gouvernement français via l’AFD, mais la prise de décision se situait au niveau du conseil d’administration de Digital Africa, l’organisation a mis du temps à se mettre en place.
Je ne pense pas qu’il existe déjà un modèle similaire et je peux imaginer que pour une structure comme l’AFD, ne disposer que d’un seul vote dans un conseil d’administration est une situation bizarre.
Mais pour moi, dans mon esprit d’entrepreneur peut-être naïf et optimiste, la structure même de l’organisation était la preuve qu’Emmanuel Macron était déterminé à construire une nouvelle relation plus égalitaire avec les jeunes Africains du continent.
Des fissures ont commencé à apparaître lorsque le premier cadre de l’organisation a été embauché, Stephan-Éloïse Gras. Ce n’était pas tant la personne que la manière. Le conseil a reçu un courriel nous annonçant son embauche. Nous n’avons jamais été consultés ou intégrés au processus.
J’ai, avec d’autres, soulevé cela comme une question de gouvernance. On nous a assuré que ça resterait un cas unique. Mais, comme Stephan-Éloïse Gras n’a pas été embauchée par le conseil d’administration, elle n’a jamais ressenti le besoin de nous rendre compte ou de nous consulter. Finalement, Karim Sy a démissionné de son poste de président, bien qu’il soit resté au conseil d’administration.
Nous avons ensuite élu le représentant de 22OnSloane, Okechukwu Kizito, en tant que vice-président et président par intérim. Au moins, l’organisation était toujours présidée par un Africain. Symbolique peut-être, mais toujours important.
Malheureusement, la situation ne s’est jamais améliorée. Le conseil a été constamment contourné et rarement informé, obtenant la plupart de ses informations par le biais d’annonces sur les réseaux sociaux. Les décisions stratégiques et coûteuses sont prises sans que le conseil d’administration ne soit informé, et encore moins d’accord.
Les voix des trois membres africains du conseil d’administration qui, ensemble, représentent une communauté de plus d’un million d’entrepreneurs africains, sont ignorées.
Lorsque nous nous sommes plaints, les membres français du conseil d’administration, dirigés par le secrétaire du conseil d’administration de l’AFD, ont décidé que l’association devait être dissoute.
En fin de compte, c’est leur argent, l’argent des contribuables français. Je comprends ça. Mais, c’est NOTRE conseil d’administration. Et nous avons des obligations fiduciaires et juridiques envers l’association que nous ne pouvons pas remplir.
Il est ironique que ce soit nous, Africains, qui luttions pour la transparence des processus et la bonne gouvernance du conseil d’administration, alors que les organisations françaises essayent de faire sauter l’association plutôt que de corriger les dysfonctionnements !
Mais, c’est une nouvelle ère dans les relations Afrique-France. Les Africains n’ont pas capitulé, malgré la pression. Nous sommes totalement solidaires pour essayer de faire ce qui est juste pour l’association, pour les entrepreneurs tech africains et pour les contribuables français, en insistant pour une utilisation diligente de leurs fonds.
L’AFD et les autres organisations françaises vont sûrement réussir à dissoudre l’association et en recréer une plus française. Mais, quelle occasion manquée pour Emmanuel Macron de mettre en pratique ce qu’il prêche: un nouveau partenariat entre la France et l’Afrique.
Je dois souligner qu’il y a une différence entre l’association Digital Africa et le fonds Digital Africa de l’AFD France pour lequel AfriLabs et l’association ABAN Angels ont généreusement reçu un financement de projet en cours de déploiement dans l’écosystème technologique africain. ”
Les Africains exigent la transparence et la bonne gouvernance
En clair, la Camerounaise s’étonne de ce que ce soient les Africains du CA de Digital Africa qui luttent aujourd’hui pour la transparence des processus et la bonne gouvernance du conseil d’administration de DA, alors que les organisations françaises, l’AFD principalement, s’activent pour dissoudre l’association au lieu de corriger les dysfonctionnements qu’ils ont créés !
Pour la femme politique et activiste d’origine camerounaise Nathalie Yamb, cette histoire est la preuve et la parfaite illustration de ce que les Français ne considéreront jamais les Africains comme de véritables partenaires. « J’ai exprimé mon yako à Rebecca. Et je lui ai rappelé que la France ne considérera jamais les Africains comme des partenaires. Jamais. Pour eux, nous ne sommes que les habitants de ses colonies. Une fois qu’on a compris cela, on sait comment y faire face », écrit-elle sur son blog dans un post intitulé : « Françafrique: La mésaventure de Rebecca Enonchong ».
La version de l’AFD
Interrogé par nos confrères de CIO Mag, l’AFD essaye de se justifier. En ce qui concerne le CA convoqué rapidement le 18 février, elle répond que « ce conseil d’administration devait se tenir rapidement afin de mettre fin au mandat des avocats recrutés par le Président de DA aux fins de conduire une enquête auprès des salariés et des administrateurs ».
Pour l’AFD, l’enquête sollicitée par le président de DA « est apparue juridiquement infondée et financièrement disproportionnée. Elle n’a jamais été validée par le board de Digital Africa et ses termes de référence sont inconnus. Le conseil d’administration a donc demandé l’annulation de cette enquête ».
L’AFD aurait proposé qu’un auditeur indépendant soit nommé par le CA, pour « protéger les salariés de Digital Africa, convoqués à des entretiens enregistrés par ces avocats, sous peine de sanctions, sans connaître les fondements de cette situation ».
A la question de savoir si l’AFD exige toujours la dissolution de DA, l’agence française reste ambiguë dans sa réponse chez nos confrères. « Nous n’avons pas encore eu l’occasion d’aborder le sujet en Conseil d’Administration, explique la cellule de communication de l’AFD. Aujourd’hui il s’agit de discuter de la meilleure façon d’avancer et d’amplifier l’initiative ambitieuse et novatrice lancée au printemps 2018 pour soutenir les start-up africaines et accompagner le développement de projets d’innovation numérique à impact… La refonte de la gouvernance était attendue depuis juin 2020, lorsqu’un vice-président avait été choisi pour assurer la présidence par intérim après la démission du Président fondateur ».
Comme l’indique Rebecca Enonchong, l’AFD et les autres organisations françaises vont sûrement réussir à dissoudre l’association Digital Africa et en recréer une plus française. Dissolution ou pas, pour l’histoire, il faudrait bien qu’un audit soit lancé ou se poursuive pour savoir les raisons de l’échec de cette initiative qui affichait pourtant de grandes ambitions.
Par Beaugas Orain DJOYUM
L’association Digital Africa
L’initiative Digital Africa réunit une communauté de partenaires de toutes nationalités – incubateurs, financiers institutionnels, venture capitalists, clusters techs – au service des entrepreneurs numériques africains, au premier rang desquels se trouve l’ Agence française de Développement (AFD), principal financier. Les 10 organisations cofondatrices sont l’AFD, AfriLabs , Bond’Innov, CFI Développement Médias, Do4 Africa, FING, le Réseau Global Entrepreneurship (GEN), Jokkolabs, La Fabrique des Mobilités et l’association La Ferme digitale.
L’initiative Digital Africa est soutenue par le président français Emmanuel Macron, qui avait annoncé la dotation de 65 millions d’euros en faveur des jeunes innovateurs africains lors de son discours à l’ouverture de la troisième édition du salon Viva Technology en mai 2018. Le Trésorier de cette association est CFIMédias, l’agence française de développement médias.
Annoncée également à Ouaga par le président français Emmanuel Macron, l’association Digital Africa a été créée en octobre 2018. C’est ce qu’on apprenait alors le 14 octobre 2018 sur le compte Twitter de Karim Sy, fondateur de Jokkolabs, premier espace de travail collaboratif en Afrique de l’Ouest, nommé par la même occasion président de cette association.
Pour rappel, Digital Africa est une initiative développée par l’Agence Française de développement sous la prescription d’Emmanuel Macron. Cette plate-forme se présentait comme un « outil collaboratif favorisant l’émergence des start-ups africaines et de leurs écosystèmes » pour reprendre les propos de JP Barral de l’AFD sur twitter, félicitant au passage Karim Sy.
Digital Africa cherche également à rapprocher les écosystèmes numériques européen et africain. Parmi ses actions jusqu’ici, on peut citer la promotion et le soutien à l’entrepreneuriat africain à travers le Challenge des 1000, le programme Social & Inclusive Business Camp (SIBC) ou encore le lancement du Bridge Fund, en collaboration avec Proparco.
Par B-O.D.
Ils avaient un objectif caché à atteindre comme ils le font aujourd’hui en Chine. Voler la technologie, vos idées ou l’espionnage. C’est pas parce qu’ils veulent vous aider. C’est juste copier ce que vous faites de bon et reproduire ou détruire ça.