L’intelligence artificielle (IA) connaît un tel engouement ces dernières années que l’on pourrait croire que la mode nouvellement adoptée revient à l’abandon de l’intelligence naturelle.
Nous sommes alertés, dans toutes les langues, et au travers de tous les supports, sur le fait que l’intelligence artificielle va confisquer nos chances de travail… Mais nous oublions que, sous couvert de ces propos alarmistes, ce sont plus nos capacités d’analyse et de discernement qui seront impactées.
Désormais, il y a tellement de spécialistes auto-proclamés de l’intelligence artificielle qui occupent les plateaux de télévisions, les antennes de radios, les estrades de salles de conférence, que l’on pourrait croire que les spécialistes d’intelligence « naturelle » seraient devenus une denrée rare.
L’axiome de base est que l’intelligence artificielle a été créée par l’Homme. Nous sommes en train d’observer une redistribution des pouvoirs. Il y a ceux qui vont mettre en place les algorithmes et ceux qui vont en être les sujets et les consommateurs. Elle sera contrôlée par certains, pour en dominer d’autres. Aussi, pour éviter cette reconfiguration des liens de domination, il faudra déployer, pour des raisons éthiques évidentes, une intelligence artificielle responsable.
En réalité, malgré l’éventail remarquable des potentialités de l’intelligence artificielle, celle-ci est souvent mal nommée. Et comme disait Albert Camus : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Dans de nombreuses situations, l’IA est utilisée, au mieux, de façon superficielle du fait d’une méconnaissance du domaine et au pire, il s’agit d’une usurpation d’identité de l’IA à des fins parfois opportunistes, souvent commerciales.
Le rapport « State of AI : divergence – 2019 » du fonds d’investissement anglais MMC Ventures (par ailleurs assez controversé) en dit long sur les arguments marketing de l’IA. Ce rapport, publié en février 2019, prétend qu’en Europe, 40% des startups d’IA n’utiliseraient pas d’IA dans leur solution. Ce phénomène d’usurpation peut également concerner certains milieux orbitant autour de la science qui déclinent, auprès des non-initiés, le fameux proverbe « Au royaume des aveugles, le borgne est roi ».
Pour y voir plus clair et séparer le bon grain de l’ivraie, il est important, aujourd’hui, de distinguer les différentes catégories d’IA, à savoir :
- L’IA symbolique,
- L’IA statistique (incluant les méthodes probabilistes et l’apprentissage automatique),
- Puis, l’IA évolutionnaire (dite aussi sub-symbolique).
L’IA symbolique se base sur une représentation des connaissances pour élaborer des raisonnements logiques basés sur des symboles abstraits. Elle utilise un langage formel explicite pour l’expression des connaissances et des procédures d’inférence formelle pour opérer des déductions. Il est surtout important de noter que rien n’est « caché » dans le code : c’est une approche entièrement déclarative et plus facile à tracer et à expliquer. Elle est de ce fait plus intuitive et plus compréhensible par l’Humain car elle implique plusieurs capacités cognitives : le raisonnement pour résoudre des problèmes ; la connaissance pour aider à représenter et à comprendre le monde ; la planification pour établir et atteindre des objectifs ; l’apprentissage symbolique ; la communication pour comprendre le langage et communiquer ; et la perception pour transformer des entrées sensorielles brutes (images, sons…) en informations utilisables.
L’IA statistique incarnée aujourd’hui par l’apprentissage automatique ou le Machine Learning (ce sont des mécanismes d’apprentissage basés sur des modèles intrinsèques de systèmes de neurones biologiques), des applications de classification et des modèles prédictifs qui manipulent des données et utilisent très souvent des algorithmes d’apprentissage statistiques (entre autres neuronaux).
Enfin, l’IA évolutionnaire se base sur des recherches et des optimisations s’inspirant de l’évolution darwinienne (par exemple, les algorithmes génétiques).
Il est tout aussi important de rappeler que chacun des paradigmes d’IA traite de problématiques différentes. D’où l’importance des approches intégratives (full stack of A.I.) pour développer des systèmes réellement intelligents ou à potentiel intelligent, pouvant générer de véritables impacts économiques et sociétaux.
Dans un futur proche, comme évoqué lors d’un débat animé par Nicolas Arpagian avec Cédric Villani, organisé par l’Epita (Ecole d’ingénieurs en intelligence informatique) le 13 décembre dernier, dont nous percevons déjà les prémisses, des robots compagnons aideront les personnes isolées à rompre leur solitude, des véhicules autonomes faciliteront la mobilité, des assistants personnels ou des digital twins – dont des versions simplifiées sont déjà déployées – investiront notre quotidien.
Par exemple, un assistant virtuel sophistiqué doit être capable de dialoguer avec son propriétaire. Ainsi, pour une meilleure interaction pouvant répondre aux attentes de l’utilisateur, il faut éviter les dialogues stylisés et être en mesure d’anticiper voire de surprendre son interlocuteur. Il faut faire preuve d’empathie, de sérendipité et de pertinence qui sont des défis de l’Interaction Humain – Machine (cf. Rapport France IA) pour apporter des réponses personnalisées et contextualisées et non des réponses satisfaisantes en moyenne. Il est important de distinguer le prospectif du prédictif.
En résumé, de l’arnaque au président, aux escroqueries appelant aux dons frauduleux pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris, l’arnaque à l’intelligence artificielle risque d’être la plus coûteuse, car elle ne cible pas que des individus, mais des sociétés et des nations toutes entières.
Par Amal El Fallah Seghrouchni. *Amal El Fallah Seghrouchni est professeure d’université (Université de Sorbonne, Faculté des Sciences et d’Ingénierie) et conseillère scientifique de StragIS, analyse l’avenir de l’homme dans un monde tenté par la domination de l’I.A.