(TIC Mag) – Michel Rogy, conseiller en politiques des TIC à la représentation gabonaise de la Banque mondiale, est convaincu d’une chose : le Gabon en matière du numérique est sur la bonne voie. Il faut à présent capitaliser les acquis. Dans cet entretien avec Beaugas-Orain DJOYUM, il évalue les défis du pays en matière des TIC et Télécommunications.
TIC Mag : Le Gabon s’active véritablement dans le secteur du numérique en Afrique centrale. Comment, à votre niveau à votre niveau à la Banque mondiale, évaluez-vous les perspectives dans le domaine des TIC au Gabon, notamment en termes de chiffres et en termes de possibilités ?
Michel Rogy : Le Gabon a pris un excellent départ dans le très haut débit. C’est l’un des rares pays du continent africain qui a réussi à lancer la 4G et en concurrence, parce qu’aujourd’hui, nous avons le groupe Gabon Télécom et le groupe AIRTEL qui ont tous les deux ce service 4G opérationnel. C’est un grand atout pour le Gabon.
Le défi maintenant c’est l’accélération de la pénétration du très haut débit. Pour ce faire, il faut avoir à la fois des tarifs intéressants pour des services, mais aussi pour les terminaux. La problématique un peu générale est de savoir quelle est la bonne fiscalité à mettre en place dans le secteur pour qu’il se développe de manière accélérée.
C’est également la question des applications des services et des contenues et c’est pour cela que nous appuyons les efforts de l’ensemble de l’écosystème publics et privés pour essayer de stimuler le développement des applications et des contenus locaux. Le Gabon a mis les bons ingrédients dans le plat, il faut maintenant les cuisiner.
TIC Mag : Je me rappelle d’une des interventions de Serge Essongue, le secrétaire exécutif de l’ARCEP, qui déclarait en 2015 sur Gabon Télévision qu’il y a encore plus de 2 000 villages au Gabon qui ne sont pas encore connectés à Internet. Connecter toutes les villes et tous les villages du Gabon en matière de Téléphonie mobile et en matière d’internet, n’est-il pas l’autre défi ? Et si oui comment le gouvernement devrait s’y prendre ?
M.R : Dans tous les pays du monde, il existe une partie du territoire, une partie de la population pour lequel il est économiquement non rentable d’apporter le service : c’est ce qu’on appelle la problématique de l’accès universel ou du service universel. Les bonnes pratiques ont trouvé une solution à ce problème. Elle consiste à prélever un pourcentage du chiffre d’affaires des opérateurs qu’ils réalisent sur les zones économiquement rentables et à mettre cette somme dans un fonds d’accès universel. Ensuite, l’on utilise cet argent pour appuyer le déploiement des réseaux dans les zones qui ne sont pas rentables. C’est en effet une sorte de subvention des zones rentables déjà couvertes aux zones non rentables qu’il conviendrait de couvrir.
Ce dispositif est en place au Gabon et le défi c’est qu’il n’est pas encore mis en service pour pouvoir couvrir la totalité du territoire et une des actions que la Banque mondiale mène c’est de dialoguer avec le gouvernement pour activer se fond et contribuer directement à la couverture de l’ensemble du territoire. Donc, la solution elle est là, il s’agit maintenant de la mettre effectivement en œuvre.
TIC Mag : Certaines personnes au niveau de l’autorité de régulation disent qu’il est possible que les opérateurs se regroupent pour créer des infrastructures communes dans ces villages qui ne sont pas connectés. Des infrastructures qui seront partagées par tous les opérateurs. Avoir des infrastructures communes ou investir soi-même sur les pylônes (ce qui revient plus cher), quelle serait, d’après-vous, la meilleure stratégie ?
M.R. : Il existe plusieurs approches du point de vue des bonnes pratiques. Mais au final, ce n’est pas rentable de déployer plusieurs infrastructures dans ces zones reculées. Ce n’est déjà pas rentable d’en déployer une. Ce qui se pratique le plus souvent c’est qu’en échange de la subvention publique pour rendre « rentable » le déploiement des infrastructures dans ces zones reculées, l’on met en place des obligations qui consistent à permettre l’accès de cette infrastructure aux autres opérateurs. C’est ce qu’on appelle le « Roaming national ». Cela existe en Europe. En France par exemple, lorsqu’on va dans une zone qui n’est couverte que par un seul opérateur, cet opérateur permet aux clients des autres opérateurs qui sont dans cette zone de pouvoir accéder au service eux aussi. Donc, c’est vraiment une logique de mutualisation des infrastructures afin d’avoir les coûts les plus faibles possible pour que la subvention soit la plus faible possible et pour que le service soit rendu à toutes les populations dans les zones reculées. C’est un schéma de ce type-là qui serait particulièrement intéressant à considérer.
TIC Mag : Au niveau de la comparaison dans la zone Afrique centrale, notamment en zone CEMAC, comment vous évaluez le niveau de connectivité entre les communautés ?
M.R. : Il y a déjà une grande différence entre les pays côtiers et les pays enclavés. Les pays côtiers disposant d’accès aux câbles sous-marins ont un accès Internet haut débit de meilleure qualité et à moindre coût. Apporter cette qualité aux pays enclavés est déjà un premier grand défi. Donc, l’un des objectifs du projet CAB (Central African Backbone) c’est d’apporter une solution à ce problème.
L’autre dimension c’est d’avoir un secteur privé dynamique qui utilise cette connectivité pour offrir des services de bonne qualité et à des coûts accessibles aux populations. Et c’est là où le caractère dynamique et privé du secteur joue un rôle considérable.
Le Gabon est très dynamique, donc on voit une bonne pénétration du très haut débit si on compare par rapport à la pénétration dans les pays voisins où le niveau de développement du très haut débit est plus faible. Donc, c’est important d’avoir un secteur privé dynamique qui puisse saisir les opportunités du haut débit et l’apporter aux consommateurs.
TIC Mag : L’on se pose souvent la question de savoir pourquoi le projet CAB ne concerne pas tous les pays de l’Afrique centrale ? Qu’elle est l’explication de la Banque mondiale ?
M.R. : Le programme CAB est ouvert à tous les pays de la zone CEMAC. Quelles sont les pays qui ont bénéficié du projet CAB jusqu’à présent ? Il y a le Cameroun, la République centrafricaine, Sao Tomé et Principe, le Congo Brazzaville, le Gabon et Congo Kinshasa. Donc, c’est déjà une part importante des pays de la zone CEMAC. Pour les pays côtiers, l’approche a surtout consisté à réfléchir à la connectivité internationale lorsqu’elle n’existait pas ou bien à la doublonner lorsqu’elle était insuffisante. C’est le cas du Gabon et il a également aussi visé à amener la connectivité depuis la côte vers les grandes villes du pays et les frontières. C’est pourquoi dans l’exemple du Gabon la partie terrestre du projet c’est d’aller jusqu’à Franceville et à la frontière avec le Congo.
L’objectif du projet CAB 3 c’est de partir du réseau existant et de le prolonger vers trois frontières. A la frontière vers le Gabon où on s’interconnectera, à la frontière vers la République centrafricaine et la frontière vers la RDC. Et le projet RDC c’est d’amener la connectivité vers les grandes villes du pays à partir de la station d’atterrissement qui existe déjà. Vous voyez que suivant les pays, suivant les besoins, le programme CAB s’ajuste pour appuyer la partie de l’infrastructure qui manque.
TIC Mag : Alors aujourd’hui, le Tchad par exemple est connecté à partir du Cameroun et du Soudan. Pourquoi le Tchad ne bénéficie pas de ce projet CAB ?
M.R. : Le Tchad avait bénéficié de ce projet et après quelques années de travail avec le gouvernement, de part et d’autres, le constat a été fait : le projet ne pouvait pas être poursuivi, il a donc été arrêté pour le Tchad. Je vous invite à regarder les communiqués presse qui ont été publiés en ce moment-là.
TIC Mag : Comment évaluez-vous le niveau de réalisation de ce projet CAB dans chacun des pays où ils sont en cours ?
En fait, le projet CAB a en général deux composantes : une composante où on travaille sur l’environnement de manière à le rendre le plus favorable possible au développement du secteur. C’est à ce niveau qu’on parle de révision du cadre légal et réglementaire, de définition de stratégie haut débit. C’est un ingrédient qui existe dans tous les pays y compris la République centrafricaine. Ensuite, il y a une deuxième composante qui se met en place lorsque le cadre légal et réglementaire est favorable. C’est celle qui consiste à financer une ou des parties de l’’investissement pour le haut débit. C’est très important d’investir lorsque le cadre est en place pour qu’on ait l’utilisation maximum de l’infrastructure qu’on finance. En fonction des différents pays on peut avancer plus ou moins vite. Mais dans l’esprit, c’est toujours la même démarche.
Propos recueillis par Beaugas-Orain DJOYUM