Où est passé Sitelcam ?

Où est passé Sitelcam ?
L’entreprise étatique annoncée en 2009 pour développer les infrastructures de télécommunications au Cameroun est dans les tiroirs de la Présidence de la République, d’après certaines sources. Au grand dam des  populations et des opérateurs privés.

L’Agence de régulations des télécommunications  (Art) du Cameroun a infligé le 21 juin 2011 les plus lourdes sanctions qu’elle n’a jamais prononcées à l’encontre d’un opérateur de télécommunications. La société Orange Cameroun, l’un des deux opérateurs privés de téléphonie mobile, a été condamnée à payer à l’Art une pénalité de trois milliards deux cent millions (3 200 000 000) de francs Cfa pour établissement des liaisons de transmission inter urbaines sans autorisation. La décision du directeur général de l’Art,  Jean-Louis Beh Mengue,  mentionne que « la sanction est exécutoire de plein droit, nonobstant l’exercice des voies de recours contentieux ».

 

Selon Suzy Owona Noah, directrice des Affaires juridiques et de la Coopération internationale de l’Art, l’agence avait constaté « un développement du réseau de l’opérateur sans commune mesure avec les autorisations dont il est titulaire. Un contrôle du réseau de l’opérateur a donc été effectué, ce qui a révélé qu’Orange Cameroun avait établi à travers le territoire national et sans les autorisations requises, un total de 145 liaisons hertziennes sur 16 axes routiers ». D’où l’ampleur de la sanction infligée « d’autant plus justifié que le comportement de l’opérateur constitue une récidive », précise-t-elle.

Certes, la décision du régulateur vient corriger une faille de l’opérateur, qui a voulu agir en marge de la réglementation. Mais, elle remet à l’ordre du jour la problématique du développement et de l’exploitation des équipements de télécommunications au Cameroun. Déjà en 2010, Mtn Cameroon avait été sommée par l’Art d’arrêter immédiatement ses travaux de déploiement de la fibre optique à Douala, sous peine de sanctions. Une activité dont l’exclusivité est réservée à Camtel, l’opérateur étatique. Celle-ci est contestée par les opérateurs privés qui l’accusent de concurrence déloyale, car étant à la fois grossiste et détaillant pour parler plus simplement.

Entreprise rentable

Pour éviter ce genre de problème, le ministère des Postes et des Télécommunications avait annoncé 2009 la création d’une société étatique spécialisée dans le déploiement des infrastructures  de télécommunications, y compris la fibre optique, au bénéfice de l’ensemble des opérateurs privés et publics : la Sitelcam. «  Pour construire cette infrastructure (fibre optique, ndlr) de manière efficace et économique dans notre pays, et compte tenu d’une part de l’évolution technologique et des services, et d’autre part du principe de la séparation des cœurs du métier de transporteur de celui de la fourniture des services, la création de Sitelcam, qui établit et exploite le réseau national de transport en fibre optique, l’accès satellitaire et les points d’échanges, vise à nous faire tirer les bénéfices de tous les avantages susmentionnés », expliquait le ministre des Télécommunications de l’époque, Bello Bouba Maïgari, à ses pairs lors d’un conseil de cabinet en janvier 2009.

Plus de deux ans après, l’on n’entend plus parler de ce projet. Silence total. Même dans les discours politiques actuels, l’on ne le mentionne plus. Or, les études de faisabilité de cette société avaient déjà été réalisées et démontraient d’ailleurs la rentabilité de cette entreprise. Si Sitelcam avait été mise en place, l’on n’aurait probablement pas cette sanction d’Orange par l’Art. Est-ce parce qu’on a changé de ministre à la tête de ce département ministériel qu’on ne parle plus de cette entreprise ? « Absolument pas », répond un cadre du Minpostel s’exprimant dans l’anonymat. « Le projet en en cours. Nous le suivons. Vous savez, explique-t-il, il y a trop de lourdeurs dans l’administration publique camerounaise. Ceci à tous les niveaux. Le projet avait déjà été proposé à la très haute hiérarchie (le président de la République, ndlr) et on attend. C’est un projet qui va mettre fin aux querelles entre Camtel et ses concurrents du privé. Tous deviendront client de Sitelcam et Camtel se consacrera uniquement à la fourniture des services comme Mtn et Orange». Déclaration que confirment d’autres cadres de la maison.

Saine concurrence
Comme conséquences sur les consommateurs, les coûts du téléphone et de l’Internet sont élevés, l’on ne dispose pas d’une bonne bande passante qui permet de naviguer aisément sur la toile, de proposer des services tels que l’enseignement à distance, la télémédecine, etc. Ceci sans oublier la guéguerre existant entre opérateurs.
La solution consisterait donc à créer le plus rapidement la Sitelcam. C’est aussi ce que pense Samuel Danda, chef du département Transmissions et Radiocommunications de l’Ecole nationale supérieure des postes et télécommunications (Enspt) de Yaoundé. «  Actuellement, Camtel détient le monopole (pour l’installation des équipements de télécommunications, ndlr), mais il faudrait qu’il y ait un opérateur neutre qui offrirait uniquement les infrastructures. A ce moment, on aura une concurrence plus saine et certaines entreprises ne se sentiront plus lésées », argue-t-il.

Les opérateurs, eux, souhaitent développer leur propre infrastructure en fibre optique. Ce qu’interdit l’État à travers la récente loi de 2010 sur les communications électroniques qui exige l’octroi d’une concession pour ce faire (art.9). Le Cameroun l’exige aussi pour des besoins sécuritaires. « Sitelcam donnera à l’Etat le moyen de contrôler les communications internationales et donc de mieux assurer sa sécurité et sa souveraineté, ce qui est observé par ailleurs dans les pays aussi libéraux que les Etats-Unis », pense Bello Bouba Maïgari. Mais, SITELCAM se fait attendre. Le Cameroun stagne et la technologie avance. A très grand pas.

Faut-il attendre sept ans (en 2016) avant que cette société ne soit créée comme cela a été le cas avec l’Agence nationale des technologies de l’information et de la communication (Antic) ? Proposée par le Minpostel à la Présidence de la République en 1995, c’est le 08 avril 2002 que l’Antic sera créée. La nomination  de ses dirigeants interviendra quatre ans plus tard, en 2006. Il faudra attendre trois ans (en 2009) pour adopter son organigramme, mobiliser les ressources nécessaires et réaliser des études appropriés. Et enfin, en 2010, commencer à mettre en œuvre la stratégie nationale de développement des TIC. Des lenteurs et lourdeurs dont ne s’accommodent pas les technologies.

Et pourtant, chez nos voisins tchadiens, la Société d’infrastructures de transmission des communications électroniques par câble à fibre optique du Tchad (SITCOM) est à pied d’oeuvre en ce moment. Créée en mars 2011, elle entend connecter le Tchad à la fibre optique via le câble sous-marin Sat 3 provenant du Cameroun et via le câble de la fibre optique venant du Soudan par la mer rouge. Ses dirigeants ont été nommés le 05 août 2011 par le président Idriss Déby Itno. Un mois plus tard, elle déploie déjà la fibre optique dans le pays. Un exemple de célérité dont pourrait s’inspirer le Cameroun./.

 

Ce que dit la loi

Article 9– (1) Peuvent faire l’objet d’une concession, en tout ou partie, à une ou plusieurs personnes morales de droit public ou privé par des conventions fixant notamment les droits et obligations du bénéficiaire de  cette concession, les domaines de l’Etat ci-après : 
•         l’établissement et l’exploitation des réseaux de communications électroniques à couverture nationale ouverts au public, à l’exclusion des réseaux de transport ;  
•         l’établissement et l’exploitation de réseaux de transport de communications électroniques, y compris l’exploitation des stations d’atterrissage des câbles  sous-marins et les téléports vers un ou plusieurs réseaux à satellites.
(2) La concession est octroyée à toute personne morale adjudicataire d’un appel à concurrence et qui s’engage à respecter les dispositions de la présente loi, ainsi que les clauses des, cahiers de charges réglementant les conditions générales d’établissement et d’exploitation des réseaux de communications électroniques.

Extraits  de la loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun.

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