(TIC Mag) – Le vice-président de l’ICANN présente à TIC Mag les défis de l’Afrique après que les Etats-Unis aient accepté de céder en octobre 2016 les fonctions de l’Autorité chargée de la gestion de l’adressage sur Internet (IANA) à une gestion multiacteurs incluant les opérateurs privés, les gouvernements, la société civile. Le point sur le .africa est également effectué dans l’entretien.
TIC Mag : Vous avez été récompensé à Hyderabad lors de l’ICANN57, l’Assemblée générale de l’ICANN qui s’est tenu du 03 au 09 novembre 2016, pour votre travail à l’ICANN. De quoi s’agissait-il ?
Pierre Dandjinou : Il s’agissait d’une reconnaissance par la communauté des acteurs du secteur privé des TIC regroupés au sein d’AFICTA (Africa Information & Communication Technologies Alliance, ndlr), du soutien constant que mon équipe et moi n’avons cessé de prodiguer à leur association. En fait, dans le cadre de la stratégie africaine de l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, ndlr), nous avons pour objectif d’encourager et de promouvoir l’Industrie de l’Internet et plus particulièrement celle des noms de domaines en Afrique. Nous contribuons au renforcement des capacités, par le biais de projets variés tels que l’entreprenariat du DNS, la sécurisation du DNS, les ateliers thématiques, notamment la formation sur les mécanismes de résolution de conflits ou encore les liens entre les noms de domaines, les marques et le droit de propriété intellectuelle.
TIC Mag : Que doit retenir l’Afrique de l’assemblée générale de l’ICANN ?
PD : Beaucoup de choses : d’abord, ICANN 57 a été la première réunion de l’institution depuis son Independence récente (1er Octobre 2016). Le gouvernement américain a donc accepté le plan et la plateforme proposés par la communauté de l’ICANN afin de cesser la supervision par les Etats Unis des fonctions de l’IANA. Désormais, c’est une communauté renforcée qui aidera l’ICANN à remplir ses missions, notamment la coordination des ressources de l’Internet et l’opérationnalisation des fonctions de l’IANA (Attribution des noms de domaine, gestion du DNS, allocation des pools d’adresses IP, gestion de protocoles et du serveur racine). C’est aussi la tenue de la première réunion de type C, plus longue (7 jours) et plus dense !
Pour l’Afrique, qui a d’ailleurs été fortement représentée à Hyderabad (Plus d’une centaine de participants Africains), il s’agit d’abord de retenir l’importance de la participation aux travaux de l’ICANN. Les Africains ont contribué aux nombreux travaux qui ont précédé le développement du plan de la transition qui a vu les Etats-Unis se dessaisir de la supervision des fonctions de l’IANA (Internet Assigned Numbers Authority, ndlr). Ensuite, l’ICANN post transition sera celui d’une communauté renforcée et l’Afrique se doit de prendre sa part en contribuant aux nouvelles entités à mettre en place (Le PTI ou le CSC), aux groupes de travail au sein des SO et AC.
Ensuite, le travail continue au sein du groupe de travail spécial (workstream 2) qui est entrain de parachever les mécanismes de reddition de compte de l’ICANN. Les Africains devront également retenir les bienfaits, mais également les exigences du modèle multi acteurs qui peut donner de très bons résultats. Il serait alors fortuit pour les Africains de promouvoir ce modèle au niveau national et au sein des différentes communautés intéressées par le développement de l’Internet, notamment les gouvernements, le secteur prive ainsi que la société civile.
TIC Mag : Depuis le 1er octobre 2016, le contrat entre la Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet (ICANN) et l’Administration nationale des télécommunications et de l’information (NTIA) du Département du commerce des États‑Unis relatif à l’opération des fonctions de l’Autorité chargée de la gestion de l’adressage sur Internet (IANA), a officiellement expiré. Ce qui a marqué le transfert de la coordination et de la gestion des identificateurs uniques de l’Internet au secteur privé. D’après les membres de l’ICANN, c’est désormais un modèle de gouvernance qui inclut toutes les voix, y compris celle des entreprises, des universités, des experts techniques, de la société civile, des gouvernements et de bien d’autres acteurs de la gestion de ce ces identifiants uniques de l’Internet. Quelle sera la place (ou la voix) de l’Afrique dans ce nouveau modèle de gestion de l’Internet ?
PD : La voix de l’Afrique sera celle qu’elle voudra prendre ! Nous rentrons dans une ère de renforcement de la communauté à laquelle ICANN devra désormais rendre des comptes. Il conviendra donc que chacune des entités comprennent sa mission dans la définition des politiques de l’ICANN. Nous avons le GAC (Government advisory Committee) qui est pour les gouvernements. Nous souhaitions que la plupart des pays Africains y soient représentés. A présent, ils sont une vingtaine de représentants sur les 54 pays du continent. Il faudra espérer que les gouvernements aident le conseil d’administration de l’ICANN à prendre les décisions idoines, qui garantissent les intérêts des uns et des autres.
Mais, l’Afrique devra surtout prendre sa place au sein des autres entités de l’ICANN telles que le conseil d’administration, les organisations de support telles que le GNSO, le RSSAC, le ccNSO. En fait, il conviendra de faire en sorte que le secteur privé africain y trouve son compte et contribue désormais au développement des politiques de l’ICANN. Nous avons encore beaucoup de travail à faire dans ce secteur. Par exemple, peu de juristes africains participent aux travaux de l’ICANN actuellement. Et pourtant, beaucoup d’enjeux de l’ICANN résident au sein de différentes relations contractuelles et la gestion des conflits.
TIC Mag : Parlant de gestion des conflits, où en sommes-nous à ce jour avec la mise en œuvre du .africa ?
PD : Le DotAfrica (.Africa) fait actuellement l’objet de procédures judiciaires suite à la décision prise par un tribunal américain de suspendre la délégation de ce nom de domaine. En gros, deux entités se disputent ce nom de domaine et la résolution du conflit est aux mains de la justice californienne qui est la juridiction de l’endroit où l’ICANN est établi. L’ICANN fait ce qu’il peut pour la résolution de ce conflit dans les meilleurs délais.
TIC Mag : Le contrat entre la Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet (ICANN) et l’Administration nationale des télécommunications et de l’information (NTIA) du Département du commerce des États‑Unis relatif à l’opération des fonctions de l’Autorité chargée de la gestion de l’adressage sur Internet (IANA), ayant expiré, est-ce encore aux Etats Unis, mieux, à la justice californienne de trancher sur ce litige ?
PD: C’est une bonne question. La question de la juridiction de l’Icann a été longuement discutée lors de la phase préparatoire de la proposition faite par la communauté au NTIA. Elle fait partie des points en cours de discussion dans le groupe de travail Adhoc (workstream 2) qui déposera son rapport en 2017.
Il faut juste retenir que la juridiction reste la Californie qui continue d’être le headquarter avec deux autres hubs que sont Singapour et Istanbul. Il est question de voir comment d’autres juridictions nationales pourraient être mises à contribution. Mais, on attend les conclusions du groupe de travail pour en savoir plus.
Propos recueillis par Beaugas-Orain DJOYUM