SMS, orthographe en danger

En attendant de voir un peu plus clair, si on peut, dans les évolutions que pourrait connaître la langue française en usage chez nous, plutôt que de nous fier au laisser aller desdites évolutions, un minimum de vigilance ne s’impose-t-elle pas lorsqu’on se situe au niveau des contrôles normatifs officiels donnant lieu à des effets civils des diplômes délivrés ? Nous venons de vivre la semaine dernière une effervescence francophone au cours de laquelle l’intérêt pour la langue française elle-même est passée au second plan par rapport à d’autres intérêts, notamment aux intérêts économiques. S’agissant de ces intérêts économiques, s’il est évident qu’ils sont eux-mêmes pris dans le tourbillon de la multipolarité constituée par la mondialisation, il n’est pas moins évident que le soin à apporter à la qualité de la langue ne peut être pris en charge que dans l’espace francophone et par les francophones eux-mêmes. Notre intention en proposant ce billet consiste à attirer l’attention de tous, sur le nécessaire contrôle qui devrait continuer à être exercé sur la qualité de la langue parlée et surtout écrite au niveau de l’école en général et des examens officiels en particulier.

En laissant de côté les questions de grammaire pour lesquelles il y aurait énormément de glissements et de déviances à relever, comme pour le mauvais usage parfois de la forme pronominale (chacun se renvoie la balle, au lieu de ils se renvoient la balle), ou même des mauvais accords dans l’usage du singulier à la place du pluriel quand le sujet de la phrase est un pourcentage (50% des visiteurs sont constitués d’étrangers et non pas 50% des visiteurs est constitué d’étrangers… (on accorde en compréhension), nous voulons ne sonner l’alarme aujourd’hui que sur les conséquences éventuelles de l’invasion de l’orthographe phonétique des « sms» particulièrement en usage chez les jeunes en général, les lycéens et les étudiants en particulier.

Nous recevons sur l’espace-échanges de notre site Internet personnel de nombreux messages venant des candidats au baccalauréat. Certains nous écrivent parfois, si ce n’est souvent, avec des « ki » à la place de « qui», des « koi » à la place de « quoi », des « kel » à la place de « quel », de « g » à la place de « je » ! En voici un tout petit spécimen :

« Salut Pr. J’aimerais savoir ; dans votre chapitre 3 de ‘’De la médiocrité à l’excellence’’ kan vous parlez de l’homme critique, à koi faites-vous allusion ? Kel est le problème ke que vous avez posé ? » Voici ce que nous avons répondu comme nous le faisons chaque fois que cette situation se présente à nous : « Je ne peux pas admettre que vous m’écriviez comme vous le faites avec vos copains ; c’est-à-dire avec des « kan » à la place de «quand », « koi » à la place de « quoi », «ke» à la place de « que », « kel » à la place de « quel », etc. Si vous rédigez vos dissertations de cette manière, vous risquez de mauvaises surprises le jour de l’examen. Si votre professeur corrige vos dissertations écrites de cette manière, il ne vous rend pas service ».

Nous passons donc notre temps à répondre de cette manière à nos jeunes lycéens, mais qu’en est-il exactement sur le terrain de la correction des copies, non seulement au baccalauréat, mais également à tous les autres examens du système éducatif et des concours divers de recrutement dans la Fonction publique ? Quelle différence dans la notation établit-on entre ceux qui écrivent normalement (en respectant les normes en vigueur depuis toujours) et ceux qui écrivent en utilisant une orthographe non encore normée ou validée ? Il y aurait quelque chose d’injuste à tout situer sur le même plan, ou sur le même niveau.

Il ne doit pas être question ici de faire prévaloir l’argument selon lequel il serait en train de se forger plusieurs langues françaises : une langue française camerounaise, une langue française ivoirienne, béninoise, congolaise, malienne, tchadienne, togolaise, etc. et que par conséquent il ne servirait à rien d’envisager d’agir contre cette tendance.

Il ne s’agit pas ici, de nier ce fait ; mais de dire que les particularismes nationaux divers ne sauraient concerner que des expressions typiques, des façons de parler, comme du reste il en existe déjà du côté de la Belgique et du Canada, par exemple. Mais à part cela, les règles d’orthographe et de grammaire devraient continuer de demeurer les mêmes pour tous les usagers de cette langue. Et l’Académie française devrait se faire davantage entendre et pourquoi ne pas envisager de se donner une Antenne africaine? A moins que nous-mêmes en Afrique, choisissions de créer une Académie de la langue française d’Afrique !

in Cameroon Tribune (N° 10824/7023 /Lundi, 20 Avril 2015)

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