Télécoms : le fisc va-t-il tuer la poule aux œufs d’or ?

Surtaxer les sociétés de téléphonie au risque de freiner leurs investissements et leur potentiel de création d’emplois ? Les Etats sont de plus en plus tentés…

C’est à un vrai dilemme que font face les gouvernements africains, avec l’essor fulgurant du secteur des télécommunications : faut-il ponctionner davantage ce secteur prospère pour renflouer les caisses des Etats, au risque d’obérer leur capacité d’investissement et de création d’emplois ? Ou alors faut-il alléger la fiscalité de ces compagnies de téléphone et laisser filer de précieuses ressources dans le bas de laine des opérateurs ?

La question est dure à trancher et, de plus en plus, les experts estiment que les Etats africains ont une malheureuse propension à imposer une fiscalité trop lourde à cette activité : « En Afrique, déplorent les experts du cabinet Performance Management and Consulting, les opérateurs télécoms, notamment sur le segment du mobile, sont confrontés à des taux de taxation très pesants. Pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, le taux moyen de taxation du chiffre d’affaires des opérateurs de téléphonie mobile est supérieur à 30%. Les cinq pays affichant les taux les plus élevés sont la Zambie (53%), Madagascar (45%), la Tanzanie (40%), le Gabon (40%) et le Cameroun (39%) ». Selon ces experts, la fiscalité élevée affecte l’accessibilité des prix des produits et services télécoms pour les populations défavorisées, limite le développement du secteur et, forcément, l’offre de nouveaux emplois.

Si la tentation est grande pour les Etats de surtaxer les entreprises de téléphonie, c’est curieusement parce que ces compagnies rapportent déjà beaucoup aux Etats. Au Cameroun, en dix ans, les deux principaux opérateurs de téléphonie mobile ont versé dans les caisses de l’état 485 milliards FCFA en termes d’impôts et de taxes diverses, en plus des 23,5 milliards représentant 2% (désormais 3%) de leur chiffre d’affaires, versés au Fonds spécial des télécommunications. De surcroît, ces compagnies consacrent 1,5% de leur chiffre d’affaires au financement du système étatique de régulation, et à la location des spectres de fréquences. Même tendance au Gabon où, en plus de toutes les autres taxes, les compagnies de téléphonie doivent verser 10% de leur chiffre d’affaires pour le financement de la caisse d‘assurance maladie.

Des produits de luxe

Le secteur des télécoms serait donc une poule aux œufs d’or dont les Etats veulent tirer le maximum, au risque de l’affaiblir ? Les opérateurs commencent à le croire, avec l’inflation des taxes dans certains pays. Au Cameroun encore, tout est bon à prendre. Par exemple, déplore le responsable d’une des principales compagnies, les téléphones sont considérés comme des produits de luxe, alors qu’une baisse de la TVA sur cet objet pourrait entraîner une augmentation considérable du taux de pénétration et, par ricochet, des recettes de l’Etat : « Il est possible de trouver un seuil ou un modèle de taxation qui permette au marché de se développer et d’accroître par ricochet les rentrées fiscales de l’Etat, sans forcément mettre la pression uniquement sur les opérateurs. Au Ghana, par exemple, une réduction de la TVA sur les importations de téléphone a permis au marché des télécommunications d’exploser. Le taux de pénétration a été presque multiplié par deux. Le gouvernement ghanéen, pour compenser ses parts de revenu sur la TVA, a instauré une taxe sur les appels ». Problème : cette taxe sur les appels internationaux entrants est fortement décriée dans les contrées où elle est mise en œuvre. Redoutée comme une « épidémie fiscale », la mise en place de cette taxe sur les appels internationaux entrants est aussi juteuse pour les Etats que contestée par les opérateurs. En Côte d’Ivoire, il s’agissait d’une augmentation de 20%, finalement suspendue par le gouvernement, après la fronde des opérateurs. Le Gabon envisageait une hausse de 52,5% de la taxation des appels internationaux entrants, tandis qu’au Ghana l’augmentation atteint plus de 100%. Ces mesures ont eu pour inconvénient de doper l’activité des appels détournés vers les terminaisons locales moins coûteuses.

Si on réduisait les taxes…

Dans un rapport qui étudie l’impact de la fiscalité sur la croissance du secteur de la téléphonie mobile, GMSA, l’internationale des constructeurs et exploitants du mobile, révèle que chaque dollar investi par l’industrie du mobile génère environ 0,80 $ de recettes fiscales pour les Etats. C’est dire ce que pourraient engranger les pays d’Afrique subsaharienne avec les programmes d’investissement de 50 milliards de dollars envisagés par les principales firmes. Mais, conclut GSMA, les pays africains pourraient gagner davantage car, en baissant les taxes, ils encourageraient de nouveaux investissements, généreraient de nouveaux emplois, voire de nouveaux métiers dans le secteur et gagneraient davantage en recettes fiscales.

Avec une pression fiscale d’à peine 17%, le marché subsaharien reste pourtant sous-taxé, comparé au marché européen où la pression fiscale atteint 20%. Il est vrai qu’il y a des marchés plus performants encore, comme en Asie où la fiscalité qui frappe le secteur n’est que de 12%. Il n’empêche, observe cette analyse de GSMA, une réduction des charges fiscales du secteur aurait un impact direct sur les coûts des communications et les prix des terminaux dans plusieurs pays (– 24 % au Cameroun, – 26 % au Tchad, – 16 % au Congo) et la pénétration du mobile pourrait s’accroître de 43 millions d’abonnés en Afrique subsaharienne. Au plan fiscal, l’impact d’une telle mesure porterait les recettes à 22,5 milliards d’euros. Et sur le plan de l’emploi, la portée en serait simplement impressionnante.

Source : Agence Ecofin

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